samedi 12 juillet 2014

Foi et raison


Les penseurs antireligieux opposent souvent la foi et la raison. Selon ces penseurs, la foi est une croyance sans preuve alors que la raison exige des preuves afin de croire. Ainsi, la foi et la raison seraient mutuellement exclusives puisque, si une chose est prouvée, aucune foi n’est nécessaire pour y croire alors que, si une chose n’est pas prouvée, la raison exige de ne pas y croire.

Cette conception du rapport entre la foi et la raison omet un type de preuve : le témoignage. La foi est non seulement compatible avec le témoignage, elle lui est nécessaire. Pour accepter un témoignage à titre de preuve, il faut avoir foi en le témoin qui le rapporte. En fait, la foi n’est rien d’autre qu’une confiance assurée en quelqu’un ou en quelque chose. On peut accorder sa confiance de façon irrationnelle – par exemple en acceptant le témoignage d’une personne qui n’est pas digne de confiance – mais la foi n’a rien d’irrationnel en elle-même. Au contraire, il est irrationnel de refuser d’avoir foi en qui que ce soit puisque, en réalité, il y a des gens qui sont dignes de confiance.

En réponse à ceux qui objectent que les témoignages ne constituent pas des preuves, il suffit de faire valoir que c’est le cas devant les tribunaux. Si un juge évalue qu’un témoignage est digne de confiance, il l’accepte à titre de preuve testimoniale. Les verbalisations des témoins de la révélation divine, comme celles des témoins d’un crime qui n’a laissé aucune trace matérielle, constituent la principale preuve qu’un événement unique eut lieu. On peut avoir confiance en leur témoignage ou on peut s’en méfier mais il est irrationnel d’exiger des preuves matérielles d’un événement qui ne laisse pas de trace matérielle.

Les témoignages ne sont pas des preuves supplétives aux preuves matérielles; ils ne sont pas des preuves de second ordre. La force probante d’un témoignage est proportionnelle à la crédibilité du témoin : elle peut être quasi-nulle comme elle peut être quasi-absolue. Ainsi, les témoignages peuvent non seulement constituer des preuves valides en l’absence de preuve matérielle, ils peuvent aussi constituer des preuves si probantes qu’ils annulent les preuves matérielles.

Par exemple, on peut être confronté à des dizaines de preuves matérielles à l’appui d’une accusation de meurtre contre un ami proche. Si cet ami proche témoigne avec zèle qu’il n’a pas commis ce meurtre, s’il affirme avec sincérité que toutes les preuves matérielles sont fausses et qu’il est la victime d’un complot, on pourra croire son témoignage plutôt que les preuves matérielles. Il est improbable que des dizaines de preuves matérielles concordantes soient le fruit d’un complot mais, si sa crédibilité est suffisante, il sera plus improbable encore que l’ami accusé ait commis le meurtre crapuleux qu’il dément. Ainsi, on peut croire son seul témoignage malgré les dizaines de preuves matérielles qui l’infirment.

Le cas où un seul témoignage renverse des dizaines de preuves matérielles est inédit devant les tribunaux puisque les juges et les jurés ne connaissent pas les témoins assez personnellement pour leur accorder une confiance aussi grande que celle que l’on peut accorder à un ami proche. Néanmoins, il y a des cas où une forte preuve matérielle est renversée par des témoignages plus probants que celle-ci. Par exemple, si un enregistrement vidéo montre l’accusé commettant un meurtre mais que des dizaines de témoins hautement crédibles affirment que l’accusé était présent ailleurs à ce moment précis, on croira que l’enregistrement vidéo est trafiqué avant de croire que tous ces témoins se parjurent. Au final, il importe de comprendre qu’il n’y a pas de hiérarchie catégorique entre la force probante d’une preuve matérielle et celle d’une preuve testimoniale.

Les tribunaux ne sont pas le seul contexte où les témoignages sont admis à titre de preuve. Les recherches historiques, de même, sont fondées sur des preuves matérielles ainsi que sur des preuves testimoniales : les trouvailles archéologiques et les écrits des auteurs anciens. Comme devant les tribunaux, les preuves testimoniales ne sont pas acceptées de façon automatique : il faut d’abord évaluer si les témoins sont dignes de confiance, il faut donc évaluer si on doit avoir foi en les écrits des auteurs anciens. Comme devant les tribunaux, les preuves matérielles et les preuves testimoniales s’éclairent mutuellement lorsque l'on analyse la réalité : les trouvailles archéologiques et les écrits des auteurs anciens s’éclairent mutuellement lorsque l'on analyse l’histoire.

Finalement, les sciences humaines admettent les témoignages à titre de preuves. De nombreuses recherches scientifiques sont fondées sur des sondages, qui ne sont rien d’autre que des recensements de témoignages. Comme toujours, les témoignages recueillis ne sont pas acceptés de façon automatique. Reste que, dans les cas où une recherche scientifique arrive à des conclusions fondées sur la validité des résultats de sondages, on accepte des preuves testimoniales. On accorde de la confiance aux personnes sondées : on a foi en leur témoignage.

Ainsi, l’objection antireligieuse selon laquelle la foi est incompatible avec la raison est indéfendable. Si les seules preuves acceptées sont les preuves matérielles acquises par des expérimentations mesurables et répétables, qui constituent la méthode des sciences naturelles, on sombre dans une mentalité irrationnelle. Si on nie la validité rationnelle de la foi qui permet de croire les témoignages, les tribunaux deviennent inopérables, l’histoire devient méconnaissable et les sondages deviennent invalides.

            Mariage et religion

Les fondements de la foi religieuse sont plus similaires à un procès qu’aux expérimentations des sciences naturelles mais ils sont plus similaires encore à un mariage. De même que l'on doit croire que son époux est fidèle afin de l'épouser, on doit croire que la révélation divine est réelle afin de s’y convertir. Dans les deux cas, ces croyances sont fondées sur un acte de confiance intime, c’est-à-dire sur une foi personnelle. Là où un procès est une procédure largement impersonnelle, la religion et le mariage sont éminemment personnels.

La foi religieuse doit être comprise en termes analogues à la foi conjugale plutôt qu’en termes rivaux à la méthode scientifique. La tradition judéo-chrétienne réfère régulièrement au mariage afin d’exposer les enjeux de la foi. La Bible contient une série de passages invoquant le mariage afin de décrire la relation entre Dieu et le peuple des croyants. Par contraste, aucun passage biblique ne laisse entendre que la révélation divine peut être mesurée et répétée par des méthodes expérimentales.

C’est pourquoi, lorsque les athées tentent de démontrer aux croyants que leur foi est mal fondée, ceux-ci ne réagissent pas comme des scientifiques auxquels on soumet que leur théorie est erronée. Ils réagissent comme des époux auxquels on tente d’exposer que la personne qu’ils aiment est infidèle. Il est difficile de débattre de la foi religieuse dans l’indifférence spéculative, tout comme il est difficile de débattre de la foi conjugale dans l’indifférence spéculative.

La similarité avec le mariage permet aussi de comprendre en quoi le doute peut être indésirable. Un époux peut s’inquiéter continuellement en doutant de la fidélité de son épouse et en craignant qu'elle lui mente lorsqu'elle lui témoigne un amour fidèle et désintéressé. De tels doutes sont souvent inutiles et parfois nuisibles. Ils risquent de compromettre la confiance de l’époux en imaginant les pires scénarios alors que l’épouse est irréprochable, ce qui ne peut que saper l’union du couple. Shakespeare avait bien compris ce danger en l'illustrant dans sa célèbre tragédie intitulée Othello.

La remise en question n’est pas indésirable en soi; il peut être souhaitable que la foi soit mise à l’épreuve. Si un époux est infidèle, il faut confronter la foi mal fondée en lui. Si une révélation divine est irréelle, il faut confronter la foi mal fondée en elle. Cependant, ces confrontations ne sont utiles et souhaitables que lorsque de nouvelles raisons de douter sont découvertes. Si la confiance est accordée en connaissant une série de raisons données, il est inutile et possiblement nuisible de ressasser sans cesse des doutes fondés sur ces mêmes raisons.

Une autre similarité entre la foi religieuse et la foi conjugale est qu’elles sont transformatrices. Elles sont transformatrices puisqu’elles ne sont pas seulement des opinions, elles sont des expériences. La confiance que l’on accorde à un époux ou à la révélation divine n’a pas pour seul effet de modifier l’analyse de la réalité, elle a aussi pour effet de modifier les décisions importantes de la vie. C’est pourquoi on peut discerner si une personne est habitée par la foi conjugale ou par la foi religieuse en observant si son comportement correspond aux effets d’une confiance réelle.

Si ceux qui se réclament de la foi religieuse ne sont pas transformés comme la foi religieuse prétend transformer, la religion paraît fausse. C’est pourquoi les croyants qui agissent de façon immorale constituent de terribles contre-témoignages de la foi ; un mauvais croyant peut annuler la crédibilité de dix bons croyants. De même, les croyants dont le comportement n'est pas différentiable de celui des incroyants nuisent au témoignage religieux. Les pires ennemis de la foi religieuse ne sont pas les militants antireligieux, ce sont les mauvais croyants.

En ayant confiance l’un en l’autre, les époux n’ont pas seulement une opinion intellectuelle l’un de l’autre : ils se donnent l’un à l’autre. Ils se confient l’un à l’autre. Ils se transforment l’un par l’autre. C’est le mystère du bonheur par le don de soi. À cet égard, la foi chrétienne est spécialement semblable à la foi conjugale : « Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera » (Luc 9:24).

En fait, les chrétiens réfèrent spécifiquement au mariage afin de décrire le mystère qui les unit à Dieu (Éphésiens 5:32). Selon les enseignements chrétiens, l’âme humaine est construite afin de se donner en toute confiance. L’âme humaine trouve son plus grand bonheur en ayant foi en celui qui lui veut le plus grand bien. Le mariage est donc une bonne analogie de la religion en général mais il l’est tout spécialement du christianisme.

Le mystère chrétien est une folie aux yeux des sceptiques irréligieux ; les chrétiens en sont bien conscients (Corinthiens 1:18). De même, le mariage est une horreur aux yeux des solitaires égoïstes; les mariés en sont bien conscients. Le mystère chrétien est une merveille pour ceux qui le vivent ; le mariage est la plus grande joie des époux qui s’aiment de tout cœur. Il y a quelque chose d’humiliant et de mortifiant à s’offrir en mariage ou à s’offrir à Dieu, mais cette humiliation et cette mortification sont la clé d’un bonheur inimaginable aux yeux des gens sans espérance.

            Dieu caché

Un époux qui exige de connaître tous les mouvements de son épouse pour croire qu’elle est fidèle n’est pas un bon époux. Un chrétien qui exige d’être personnellement témoin de miracles pour croire que sa religion est vraie n’est pas un bon chrétien. Plus on exige de preuves matérielles afin de croire un témoignage, moins on accorde de confiance au témoin. La foi conjugale, comme la foi chrétienne, est fondée sur la confiance personnelle plutôt que sur la vérification sceptique.

C’est à cela que réfère Jésus quand il affirme « Bienheureux sont ceux qui, sans avoir vu, ont cru » (Jean 20:29). Comme un époux est plus heureux s’il croit que son épouse est fidèle sans devoir l’espionner à toutes les heures du jour et de la nuit, un chrétien est plus heureux s’il croit que la révélation divine est réelle sans devoir chercher des signes miraculeux aux quatre coins de la Terre. Il est normal de chercher des preuves matérielles lorsque l’on est incrédule devant un témoignage mais, si le témoin est digne de confiance, cette incrédulité est navrante puisqu’elle nie la confiance dont le témoin est digne.

Les réalités connues par l’entremise de la confiance personnelle ne sont pas des réalités subjectives pour autant. Si un époux est fidèle, il n’est pas seulement fidèle aux yeux de son épouse qui a foi en lui : il est objectivement fidèle. Sa fidélité est une réalité objective, peu importe l’opinion des uns et des autres. Cette réalité objective étant cachée, la confiance personnelle est le seul moyen pour la connaître. Le moyen pour connaître est subjectif mais la réalité connue est objective. La fidélité conjugale et la révélation religieuse sont des réalités objectives que l’on ne peut pas démontrer de façon objective puisqu’une foi subjective est nécessaire afin de les reconnaître.

Il est contre-intuitif de penser que la révélation divine s’apparente à une réalité cachée telle que la fidélité d’un époux. Pourtant, c’est précisément l’affirmation chrétienne. Dans ses Pensées, le grand philosophe et scientifique Blaise Pascal (1623-1662) plaide contre l’erreur des chrétiens qui tentent de démontrer l’existence de Dieu comme si celle-ci était un fait visible à tous :

« En adressant leurs discours aux impies leur premier chapitre est de prouver la divinité par les ouvrages de la nature. Je ne m’étonnerais pas de leur entreprise s’ils adressaient leurs discours aux fidèles, car il est certain que ceux qui ont la foi vive dedans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent, mais pour ceux en qui cette lumière est éteinte et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces personnes destituées de foi et de grâce, qui recherchant de toute leur lumière tout ce qu’ils voient dans la nature qui les peut mener à cette connaissance ne trouvent qu’obscurité et ténèbres, dire à ceux-là qu’ils n’ont qu’à voir la moindre des choses qui les environnent et qu’ils y verront Dieu à découvert et leur donner pour toute preuve de ce grand et important sujet le cours de la lune et des planètes et prétendre avoir achevé sa preuve avec un tel discours, c’est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles et je vois par raison et par expérience que rien n’est plus propre à leur en faire naître le mépris. Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture, qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu, en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que, depuis la corruption de la nature, il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par Jésus-Christ, hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée. » (Br 242)

Plus loin, il ajoute :

« Que Dieu s'est voulu caché. S'il n'y avait qu'une religion Dieu y serait bien manifeste. S'il n'y avait des martyrs qu'en notre religion de même. Dieu étant ainsi caché toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n'est pas véritable, et toute religion qui n'en rend pas la raison n'est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. » (Br 585)

Le christianisme enseigne que la révélation divine est cachée aux humains puisque leur cœur s’est endurci, qu’il est blessé et qu’il s’est fermé à la plus grande beauté qui s’offre à eux. Ici encore, la Bible présente l’état du cœur humain comme le facteur crucial de la foi chrétienne autant que de la foi conjugale. L’apôtre Paul écrit que Dieu doit ouvrir le cœur humain afin d’y insuffler la foi : « Qu’il ouvre votre cœur à sa lumière, pour que vous sachiez quelle espérance vous donne son appel, quelle est la richesse de sa gloire, de l’héritage qu’il vous fait partager avec les saints. » (Éphésiens 1.18) alors que l’apôtre Matthieu rapporte les paroles de Jésus au sujet du mariage : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes;  mais au commencement il n’en était pas ainsi. » (Matthieu 19.8). La révélation divine, comme la fidélité conjugale, est une réalité objective qui se reconnaît par une ouverture du cœur en faisant confiance à ceux qui en témoignent.

            Confiance et salut

Cette approche de la connaissance peut sembler obscure à ceux qui ne sont pas familiers avec la pensée chrétienne mais elle est fondée sur l’expérience commune de l’humanité. Après avoir été abusées alors qu’elles se trouvaient dans une condition vulnérable, que ce soit l’enfance ou l’innocence au sens large, il est commun que les victimes deviennent méfiantes et incrédules face à ceux qui leur témoignent de l’amour. Elles refusent de faire confiance à ceux qui offrent des solutions afin de guérir leurs blessures. Elles se referment sur elles-mêmes en se détournant de ce que le monde offre de plus beau.

Si ce phénomène est évident dans le cas des victimes des abus les plus violents, le christianisme enseigne que l’humanité entière en est affligée. L’humanité entière est victime d’abus qu’elle s’inflige à elle-même. Les humains au cœur endurci infligent des abus aux autres, ce qui endurcit leur cœur et transforme les victimes en abuseurs. Les abus auxquels on réfère ici ne sont pas que les agressions violentes mais aussi les actes plus ou moins subtils qui causent des blessures profondes tels que les trahisons amoureuses et les négligences familiales.

Ainsi, c’est toute l’humanité qui sombre dans la méfiance et dans l’indifférence pour autrui et pour Dieu. C’est à cet état que réfèrent les enseignements chrétiens à l’effet que l’humanité est déchue et qu’elle doit être sauvée. En termes médicaux, on pourrait dire que l’humanité est blessée et qu’elle doit être guérie. Les termes de chute et de salut servent à signifier que l’humanité n’est pas passive au sein du mal qu’elle subit mais qu’elle y contribue activement par le cercle vicieux de l’endurcissement de son cœur.

C’est à cet égard que la foi chrétienne, la confiance en Jésus-Christ par l’entremise du témoignage des apôtres, est indissociable du salut de l’humanité. Le christianisme enseigne que cette confiance, cette immense chaîne humaine de confiance remontant ultimement à Jésus-Christ lui-même, est l’œuvre du Saint Esprit. Il y a quelque chose d’extraordinaire, si extraordinaire que les chrétiens y reconnaissent une action divine, dans la vigueur et l’ampleur de la foi suscitée par Jésus-Christ auprès de ses apôtres et par ceux-ci auprès du monde entier. Le témoignage chrétien est unique, autant par son contenu que par son contexte et que par ses effets. La révélation divine rapportée par le christianisme mérite une attention toute spéciale.

Les chrétiens ont témoigné, au péril de leur vie, que Dieu leur a révélé le salut offert à l’humanité. Comme pour un époux qui témoigne être fidèle, il ne peut pas y avoir de vérification expérimentale. Dans les deux cas, on évalue la crédibilité de la personne qui affirme révéler une réalité cachée mais objective. Dans les deux cas, il s’agit d’évaluer si un témoignage est digne de confiance. Dans les deux cas, l’ouverture du cœur est un critère plus important que l’intelligence afin d’éviter les erreurs puisque cette évaluation n’est pas une analyse descriptive, elle est un acte de confiance en réponse à un témoignage. C'est la distinction qu'exprimait Blaise Pascal en affirmant que « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » (Br 277)

Tout comme la foi conjugale, la foi chrétienne n’est pas fondée sur la raison mais elle est en harmonie avec celle-ci. Tout comme la foi conjugale, la foi chrétienne est quelque chose qui se cultive en y investissant des efforts. Tout comme la foi conjugale, la foi chrétienne est toujours accordée librement puisque la confiance ne peut pas être obligée. Tout comme la foi conjugale, la foi chrétienne peut sembler étrange ou superflue à ceux qui ne la possèdent pas mais elle procure un bonheur inespéré à ceux qui la possèdent.

vendredi 18 avril 2014

Argument de la raison


L’argument de la raison ne démontre pas qu’une religion est vraie. Il démontre que, dans la mesure où l'on admet que les l'intellect humain est fiable afin de discerner la réalité, l'existence de Dieu est défendable en termes logiques. Cet argument fut d’abord élaboré par le premier ministre britannique Arthur James Balfour (1848-1930) dans ses essais Theism and Humanism et Theism and Thought et fut ensuite popularisé par l’auteur britannique Clive Staples Lewis (1898-1963) dans son essai Miracles. Le philosophe américain Alvin Carl Plantinga (1932-) continue de défendre cet argument au sein du monde académique.

Bien que sa formulation explicite soit nouvelle au sein de la pensée moderne, l'argument de la raison n’est pas un savoir historiquement nouveau. Les grands théologiens chrétiens ne présentent pas l’argument de la raison comme un argument mais plutôt comme une évidence nécessaire à quelque argument que ce soit. Ils affirment que la raison dépasse le monde naturel et que, en conséquence, tout être rationnel est créé à l’image du Dieu qui dépasse le monde naturel.

Il y a seize siècles, Augustin d’Hippone (354-430)  écrivait dans la Cité de Dieu : « Il y a au-dessus de toute âme un Dieu qui a créé non-seulement le monde visible, appelé ordinairement le ciel et la terre, mais encore toutes les âmes, et qui rend heureuses les âmes raisonnables et intellectuelles, telles que l’âme humaine, en les faisant participer de sa lumière immuable et incorporelle » (livre 8, chapitre 1) et « Dieu a fait l’homme à son image; car il lui a donné une âme douée de raison et d’intelligence qui l’élève au-dessus de toutes les bêtes de la terre, de l’air et des eaux » (livre 12, chapitre 23).

Il y a huit siècles, Thomas d’Aquin (1225-1274), avec le vocabulaire propre à sa philosophie scolastique, allait dans le même sens en écrivant dans la Somme théologique « La matière, en effet, est le principe d’individuation des formes. Il reste donc que l’âme intellectuelle, et d’ailleurs toute autre substance dotée d’intelligence, en connaissant la forme des réalités sous un mode absolu, n’est pas composée de forme et de matière » (Prima pars q.75 a.5) et « Bien qu’il y ait dans toutes les créatures une certaine ressemblance de Dieu, c’est dans la seule créature dotée de raison que la ressemblance de Dieu se trouve par mode d’image » (Prima pars q.93 a.6).

Pour les premiers grands philosophes, il était aussi évident que la raison n’appartient pas au monde naturel, c’est-à-dire qu’elle n’est pas composée de matière pouvant être perçue par les sens. Platon conclut que les idées intellectuelles sont plus réelles que la matière du monde naturel; selon lui, le monde naturel n’est qu’une image éphémère des idées intellectuelles. De son côté, Aristote se rapproche davantage de l’empirisme en admettant que les idées ne peuvent être connues qu’à travers la matière du monde naturel mais il conclut lui aussi que l’intellect dépasse la matière. Les prémisses de l'argument de la raison sont donc très anciennes et elles sont indépendantes de la foi religieuse.

Voici l'extrait du livre Miracles de C.S. Lewis contenant sa formulation de l'argument de la raison (à noter que certaines notions utilisées dans cet extrait son détaillées ailleurs dans le livre):

It is clear that everything we know, beyond our own immediate sensations, is inferred from those sensations. I do not mean that we begin as children, by regarding our sensations as ‘evidence’ and thence arguing consciously to the existence of space, matter, and other people. I mean that if, after we are old enough to understand the question, our confidence in the existence of anything else (say, the solar system or the Spanish Armada) is challenged, our argument in defence of it will have to take the form of inferences from our immediate sensations. Put in its most general form the inference would run, ‘Since I am presented with colours, sounds, shapes, pleasures and pains which I cannot perfectly predict or control, and since the more I investigate them the more regular their behaviour appears, therefore there must exist something other than myself and it must be systematic’. Inside this very general inference, all sorts of special trains of inference lead us to more detailed conclusions. We infer Evolution from fossils: we infer the existence of our own brains from what we find inside the skulls of other creatures like ourselves in the dissecting room.

All possible knowledge, then, depends on the validity of reasoning. If the feeling of certainty which we express by words like must be and therefore and since is a real perception of how things outside our own minds really ‘must’ be, well and good. But if this certainty is merely a feeling in our own minds and not a genuine insight into realities beyond them—if it merely represents the way our minds happen to work—then we can have no knowledge. Unless human reasoning is valid no science can be true.

It follows that no account of the universe can be true unless that account leaves it possible for our thinking to be a real insight. A theory which explained everything else in the whole universe but which made it impossible to believe that our thinking was valid, would be utterly out of court. For that theory would itself have been reached by thinking, and if thinking is not valid that theory would, of course, be itself demolished. It would have destroyed its own credentials. It would be an argument which proved that no argument was sound—a proof that there are no such things as proofs—which is nonsense.

Thus a strict materialism refutes itself for the reason given long ago by Professor Haldane: ‘If my mental processes are determined wholly by the motions of atoms in my brain, I have no reason to suppose that my beliefs are true…and hence I have no reason for supposing my brain to be composed of atoms.’ (Possible Worlds, p. 209)

But Naturalism, even if it is not purely materialistic, seems to me to involve the same difficulty, though in a somewhat less obvious form. It discredits our processes of reasoning or at least reduces their credit to such a humble level that it can no longer support Naturalism itself.

The easiest way of exhibiting this is to notice the two senses of the word because. We can say, ‘Grandfather is ill today because he ate lobster yesterday.’ We can also say, ‘Grandfather must be ill today because he hasn’t got up yet (and we know he is an invariably early riser when he is well).’ In the first sentence because indicates the relation of Cause and Effect: The eating made him ill. In the second, it indicates the relation of what logicians call Ground and Consequent. The old man’s late rising is not the cause of his disorder but the reason why we believe him to be disordered. There is a similar difference between ‘He cried out because it hurt him’ (Cause and Effect) and ‘It must have hurt him because he cried out’ (Ground and Consequent). We are especially familiar with the Ground and Consequent because in mathematical reasoning: ‘A = C because, as we have already proved, they are both equal to B.’

The one indicates a dynamic connection between events or ‘states of affairs’; the other, a logical relation between beliefs or assertions.

Now a train of reasoning has no value as a means of finding truth unless each step in it is connected with what went before in the Ground-Consequent relation. If our B does not follow logically from our A, we think in vain. If what we think at the end of our reasoning is to be true, the correct answer to the question, ‘Why do you think this?’ must begin with the Ground-Consequent because.

On the other hand, every event in Nature must be connected with previous events in the Cause and Effect relation. But our acts of thinking are events. Therefore the true answer to ‘Why do you think this?’ must begin with the Cause-Effect because. Unless our conclusion is the logical consequent from a ground it will be worthless and could be true only by a fluke. Unless it is the effect of a cause, it cannot occur at all. It looks therefore, as if, in order for a train of thought to have any value, these two systems of connection must apply simultaneously to the same series of mental acts.

But unfortunately the two systems are wholly distinct. To be caused is not to be proved. Wishful thinkings, prejudices, and the delusions of madness, are all caused, but they are ungrounded. Indeed to be caused is so different from being proved that we behave in disputation as if they were mutually exclusive. The mere existence of causes for a belief is popularly treated as raising a presumption that it is groundless, and the most popular way of discrediting a person’s opinions is to explain them causally—‘You say that because (Cause and Effect) you are a capitalist, or a hypochondriac, or a mere man, or only a woman’. The implication is that if causes fully account for a belief, then, since causes work inevitably, the belief would have had to arise whether it had grounds or not. We need not, it is felt, consider grounds for something which can be fully explained without them.

But even if grounds do exist, what exactly have they got to do with the actual occurrence of the belief as a psychological event? If it is an event it must be caused. It must in fact be simply one link in a causal chain which stretches back to the beginning and forward to the end of time. How could such a trifle as lack of logical grounds prevent the belief’s occurrence or how could the existence of grounds promote it?

There seems to be only one possible answer. We must say that just as one way in which a mental event causes a subsequent mental event is by Association (when I think of parsnips I think of my first school), so another way in which it can cause it, is simply by being a ground for it. For then being a cause and being a proof would coincide.

But this, as it stands, is clearly untrue. We know by experience that a thought does not necessarily cause all, or even any, of the thoughts which logically stand to it as Consequents to Ground. We should be in a pretty pickle if we could never think ‘This is glass’ without drawing all the inferences which could be drawn. It is impossible to draw them all; quite often we draw none. We must therefore amend our suggested law. One thought can cause another not by being, but by being seen to be, a ground for it.

If you distrust the sensory metaphor in seen, you may substitute apprehended or grasped or simply known. It makes little difference for all these words recall us to what thinking really is. Acts of thinking are no doubt events; but they are a very special sort of events. They are ‘about’ something other than themselves and can be true or false. Events in general are not ‘about’ anything and cannot be true or false. (To say ‘these events, or facts are false’ means of course that someone’s account of them is false). Hence acts of inference can, and must, be considered in two different lights. On the one hand they are subjective events, items in somebody’s psychological history. On the other hand, they are insights into, or knowings of, something other than themselves. What from the first point of view is the psychological transition from thought A to thought B, at some particular moment in some particular mind, is, from the thinker’s point of view a perception of an implication (if A, then B). When we are adopting the psychological point of view we may use the past tense. ‘B followed A in my thoughts.’ But when we assert the implication we always use the present—‘B follows from A’. If it ever ‘follows from’ in the logical sense, it does so always. And we cannot possibly reject the second point of view as a subjective illusion without discrediting all human knowledge. For we can know nothing, beyond our own sensations at the moment, unless the act of inference is the real insight that it claims to be.

But it can be this only on certain terms. An act of knowing must be determined, in a sense, solely by what is known; we must know it to be thus solely because it is thus. That is what knowing means. You may call this a Cause and Effect because, and call ‘being known’ a mode of causation if you like. But it is a unique mode. The act of knowing has no doubt various conditions, without which it could not occur: attention, and the states of will and health which this presupposes. But its positive character must be determined by the truth it knows. If it were totally explicable from other sources it would cease to be knowledge, just as (to use the sensory parallel) the ringing in my ears ceases to be what we mean by ‘hearing’ if it can be fully explained from causes other than a noise in the outer world—such as, say, the tinnitus produced by a bad cold. If what seems an act of knowledge is partially explicable from other sources, then the knowing (properly so called) in it is just what they leave over, just what demands, for its explanation, the thing known, as real hearing is what is left after you have discounted the tinnitus. Any thing which professes to explain our reasoning fully without introducing an act of knowing thus solely determined by what is known, is really a theory that there is no reasoning.

But this, as it seems to me, is what Naturalism is bound to do. It offers what professes to be a full account of our mental behaviour; but this account, on inspection, leaves no room for the acts of knowing or insight on which the whole value of our thinking, as a means to truth, depends.

It is agreed on all hands that reason, and even sentience, and life itself are late comers in Nature. If there is nothing but Nature, therefore, reason must have come into existence by a historical process. And of course, for the Naturalist, this process was not designed to produce a mental behaviour that can find truth. There was no Designer; and indeed, until there were thinkers, there was no truth or falsehood. The type of mental behaviour we now call rational thinking or inference must therefore have been ‘evolved’ by natural selection, by the gradual weeding out of types less fitted to survive.

Once, then, our thoughts were not rational. That is, all our thoughts once were, as many of our thoughts still are, merely subjective events, not apprehensions of objective truth. Those which had a cause external to ourselves at all were (like our pains) responses to stimuli. Now natural selection could operate only by eliminating responses that were biologically hurtful and multiplying those which tended to survival. But it is not conceivable that any improvement of responses could ever turn them into acts of insight, or even remotely tend to do so. The relation between response and stimulus is utterly different from that between knowledge and the truth known. Our physical vision is a far more useful response to light than that of the cruder organisms which have only a photo-sensitive spot. But neither this improvement nor any possible improvements we can suppose could bring it an inch nearer to being a knowledge of light. It is admittedly something without which we could not have had that knowledge. But the knowledge is achieved by experiments and inferences from them, not by refinement of the response. It is not men with specially good eyes who know about light, but men who have studied the relevant sciences. In the same way our psychological responses to our environment—our curiosities, aversions, delights, expectations—could be indefinitely improved (from the biological point of view) without becoming anything more than responses. Such perfection of the non-rational responses, far from amounting to their conversion into valid inferences, might be conceived as a different method of achieving survival—an alternative to reason. A conditioning which secured that we never felt delight except in the useful nor aversion save from the dangerous, and that the degrees of both were exquisitely proportional to the degree of real utility or danger in the object, might serve us as well as reason or in some circumstances better.

Besides natural selection there is, however, experience—experience originally individual but handed on by tradition and instruction. It might be held that this, in the course of millennia, could conjure the mental behaviour we call reason—in other words, the practice of inference—out of a mental behaviour which was originally not rational. Repeated experiences of finding fire (or the remains of fire) where he had seen smoke would condition a man to expect fire whenever he saw smoke. This expectation, expressed in the form ‘If smoke, then fire’ becomes what we call inference. Have all our inferences originated in that way?

But if they did they are all invalid inferences. Such a process will no doubt produce expectation. It will train men to expect fire when they see smoke in just the same way as it trained them to expect that all swans would be white (until they saw a black one) or that water would always boil at 212° (until someone tried a picnic on a mountain). Such expectations are not inferences and need not be true. The assumption that things which have been conjoined in the past will always be conjoined in the future is the guiding principle not of rational but of animal behaviour. Reason comes in precisely when you make the inference ‘Since always conjoined, therefore probably connected’ and go on to attempt the discovery of the connection. When you have discovered what smoke is you may then be able to replace the mere expectation of fire by a genuine inference. Till this is done reason recognises the expectation as a mere expectation. Where this does not need to be done—that is, where the inference depends on an axiom—we do not appeal to past experience at all. My belief that things which are equal to the same thing are equal to one another is not at all based on the fact that I have never caught them behaving otherwise. I see that it ‘must’ be so. That some people nowadays call axioms tautologies seems to me irrelevant. It is by means of such ‘tautologies’ that we advance from knowing less to knowing more. And to call them tautologies is another way of saying that they are completely and certainly known. To see fully that A implies B does (once you have seen it) involve the admission that the assertion of A and the assertion of B are at bottom in the same assertion. The degree to which any true proportion is a tautology depends on the degree of your insight into it. 9 × 7 = 63 is a tautology to the perfect arithmetician, but not to the child learning its tables nor to the primitive calculator who reached it, perhaps, by adding seven nines together. If Nature is a totally interlocked system, then every true statement about her (e.g. there was a hot summer in 1959) would be a tautology to an intelligence that could grasp that system in its entirety. ‘God is love’ may be a tautology to the seraphim; not to men.

‘But’, it will be said, ‘it is incontestable that we do in fact reach truths by inferences’. Certainly. The Naturalist and I both admit this. We could not discuss anything unless we did. The difference I am submitting is that he gives, and I do not, a history of the evolution of reason which is inconsistent with the claims that he and I both have to make for inference as we actually practise it. For his history is, and from the nature of the case can only be, an account, in Cause and Effect terms, of how people came to think the way they do. And this of course leaves in the air the quite different question of how they could possibly be justified in so thinking. This imposes on him the very embarrassing task of trying to show how the evolutionary product which he has described could also be a power of ‘seeing’ truths.

But the very attempt is absurd. This is best seen if we consider the humblest and almost the most despairing form in which it could be made. The Naturalist might say, ‘Well, perhaps we cannot exactly see —not yet—how natural selection would turn sub-rational mental behaviour into inferences that reach truth. But we are certain that this in fact has happened. For natural selection is bound to preserve and increase useful behaviour. And we also find that our habits of inference are in fact useful. And if they are useful they must reach truth’. But notice what we are doing. Inference itself is on trial: that is, the Naturalist has given an account of what we thought to be our inferences which suggests that they are not real insights at all. We, and he, want to be reassured. And the reassurance turns out to be one more inference (if useful, then true)—as if this inference were not, once we accept his evolutionary picture, under the same suspicion as all the rest. If the value of our reasoning is in doubt, you cannot try to establish it by reasoning. If, as I said above, a proof that there are no proofs is nonsensical, so is a proof that there are proofs. Reason is our starting point. There can be no question either of attacking or defending it. If by treating it as a mere phenomenon you put yourself outside it, there is then no way, except by begging the question, of getting inside again.

A still humbler position remains. You may, if you like, give up all claim to truth. You may say simply ‘Our way of thinking is useful’—without adding, even under your breath, ‘and therefore true’. It enables us to set a bone and build a bridge and make a Sputnik. And that is good enough. The old, high pretensions of reason must be given up. It is a behaviour evolved entirely as an aid to practice. That is why, when we use it simply for practice, we get along pretty well; but when we fly off into speculation and try to get general views of ‘reality’ we end in the endless, useless, and probably merely verbal, disputes of the philosopher. We will be humbler in future. Goodbye to all that. No more theology, no more ontology, no more metaphysics…

But then, equally, no more Naturalism. For of course Naturalism is a prime specimen of that towering speculation, discovered from practice and going far beyond experience, which is now being condemned. Nature is not an object that can be presented either to the senses or the imagination. It can be reached only by the most remote inferences. Or not reached, merely approached. It is the hoped for, the assumed, unification in a single interlocked system of all the things inferred from our scientific experiments. More than that, the Naturalist, not content to assert this, goes on to the sweeping negative assertion. ‘There is nothing except this’—an assertion surely, as remote from practice, experience, and any conceivable verification as has ever been made since men began to use their reason speculatively. Yet on the present view, the very first step into such a use was an abuse, the perversion of a faculty merely practical, and the source of all chimeras.

On these terms the Theist’s position must be a chimera nearly as outrageous as the Naturalist’s. (Nearly, not quite; it abstains from the crowning audacity of a huge negative). But the Theist need not, and does not, grant these terms. He is not committed to the view that reason is a comparatively recent development moulded by a process of selection which can select only the biologically useful. For him, reason—the reason of God—is older than Nature, and from it the orderliness of Nature, which alone enables us to know her, is derived. For him, the human mind in the act of knowing is illuminated by the Divine reason. It is set free, in the measure required, from the huge nexus of non-rational causation; free from this to be determined by the truth known. And the preliminary processes within Nature which led up to this liberation, if there were any, were designed to do so.

To call the act of knowing—the act, not of remembering that something was so in the past, but of ‘seeing’ that it must be so always and in any possible world—to call this act ‘supernatural’, is some violence to our ordinary linguistic usage. But of course we do not mean by this that it is spooky, or sensational, or even (in any religious sense) ‘spiritual’. We mean only that it ‘won’t fit in’; that such an act, to be what it claims to be—and if it is not, all our thinking is discredited —cannot be merely the exhibition at a particular place and time of that total, and largely mindless, system of events called ‘Nature’. It must break sufficiently free from that universal chain in order to be determined by what it knows.

[…]

We have seen that rational thought is not part of the system of Nature. Within each man there must be an area (however small) of activity which is outside or independent of her. In relation to Nature, rational thought goes on ‘of its own accord’ or exists ‘on its own’. It does not follow that rational thought exists absolutely on its own. It might be independent of Nature by being dependent on something else. For it is not dependence simply but dependence on the non-rational which undermines the credentials of thought. One man’s reason has been led to see things by the aid of another man’s reason, and is none the worse for that. It is thus still an open question whether each man’s reason exists absolutely on its own or whether it is the result of some (rational) cause—in fact, of some other Reason. That other Reason might conceivably be found to depend on a third, and so on; it would not matter how far this process was carried provided you found Reason coming from Reason at each stage. It is only when you are asked to believe in Reason coming from non-reason that you must cry Halt, for, if you don’t, all thought is discredited. It is therefore obvious that sooner or later you must admit a Reason which exists absolutely on its own. The problem is whether you or I can be such a self-existent Reason.

This question almost answers itself the moment we remember what existence ‘on one’s own’ means. It means that kind of existence which Naturalists attribute to ‘the whole show’ and Supernaturalists attribute to God. For instance, what exists on its own must have existed from all eternity; for if anything else could make it begin to exist then it would not exist on its own but because of something else. It must also exist incessantly: that is, it cannot cease to exist and then begin again. For having once ceased to be, it obviously could not recall itself to existence, and if anything else recalled it it would then be a dependent being. Now it is clear that my Reason has grown up gradually since my birth and is interrupted for several hours each night. I therefore cannot be that eternal self-existent Reason which neither slumbers nor sleeps. Yet if any thought is valid, such a Reason must exist and must be the source of my own imperfect and intermittent rationality. Human minds, then, are not the only supernatural entities that exist. They do not come from nowhere. Each has come into Nature from Supernature: each has its tap-root in an eternal, self-existent, rational Being, whom we call God. Each is an offshoot, or spearhead, or incursion of that Supernatural reality into Nature.

lundi 31 mars 2014

Liberté sexuelle


La culture moderne est éprise de liberté sexuelle. Parmi tous les progrès de l’époque actuelle, la liberté sexuelle est l’un des acquis les plus valorisés. Par contraste, les chrétiens semblent réactionnaires en continuant de prôner un contrôle sexuel rigoureux. Il est vrai que certains mouvements chrétiens sont réfractaires à la liberté sexuelle puisqu’ils se méfient du plaisir, surtout du plaisir sexuel. Par exemple, on peut citer le puritanisme et le jansénisme parmi ces mouvements chrétiens.

Néanmoins, le christianisme historique ne condamne pas le plaisir sexuel en tant que tel. Au contraire, le christianisme enseigne que le corps est une bonne chose et que les plaisirs corporels, bien qu’ils puissent constituer des dangers, sont tout à fait sains et légitimes en principe. Récemment, des auteurs tels que John Piper et Christopher West ont popularisé cet aspect de la pensée chrétienne en expliquant que la sexualité est vouée à être vécue avec joie et sans complexes.

Contrairement aux préjugés dont les chrétiens sont souvent affligés, l’idéal chrétien n’en est pas un de privation et de répression sexuelle. L’idéal chrétien est, comme l’idéal moderne, soucieux de réaliser une libération sexuelle. Cependant, là où les penseurs modernes envisagent la liberté sexuelle comme l’absence de restrictions sexuelles, les penseurs chrétiens l’envisagent surtout comme l’absence d’obligations sexuelles. Cette distinction doit être explorée en profondeur afin de comprendre pourquoi les chrétiens s’opposent à la liberté sexuelle telle qu’elle s’est déployée dans l’Occident moderne.

Sans considérer son pan spécifiquement sexuel, on doit d’abord poser la question : Qu’est-ce que la liberté? Une réponse commune est que la liberté est la capacité de faire ce que l’on veut. Cela est inexact puisque, en considérant différents exemples, on constate que l’on peut être capable de faire ce que l’on veut même alors que l’on ne jouit d’aucune liberté.

Prenons l’exemple d’une personne qui veut étudier la médecine et qui est capable d'étudier la médecine mais qui, par ailleurs, est soumise à sa famille qui exige qu'elle étudie la médecine. Cette personne n'est pas libre d'étudier la médecine : elle est obligée d'étudier la médecine. Le fait qu'étudier la médecine soit conforme à sa volonté n'est qu'un accident du hasard; on pourrait dire qu'elle est chanceuse de vouloir faire ce qu'elle a envie de faire. Elle n'est pas libre puisqu'elle n'a peut pas faire un autre choix.

L’erreur de ceux qui assimilent la liberté à la capacité de faire ce que l’on veut est de supposer que la liberté serait toujours plaisante à vivre alors que l’esclavage serait toujours déplaisant à vivre. En réalité, la liberté peut être pénible à vivre lorsque l’on doit trancher entre plusieurs choix difficiles. Par exemple, il est souvent pénible pour un parent de choisir combien de temps il attribuera à sa carrière et à sa famille.Choisir quelque chose implique toujours de renoncer à autre chose.

À l’inverse, l’esclavage peut être plaisant à vivre s’il permet de jouir de certains plaisirs que l’on désire avec ardeur. Il s’agit d’un thème central du roman Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, où les masses humaines ne sont pas contrôlées par la peur de la répression mais plutôt par une dépendance à des plaisirs ininterrompus. Le plaisir n’est pas une garantie de liberté puisqu’il peut être un outil pour asservir la liberté.

Nul besoin de récits fictifs pour trouver des exemples d’asservissements par le plaisir. Toutes les histoires de toxicomanie constituent de tels exemples. En effet, le toxicomane est capable de faire ce qu’il veut mais il n’a pas de choix puisqu’il est incapable de ne pas choisir la drogue. Prétendre qu’un toxicomane est libre alors qu’il consomme de la drogue est aussi faux que de prétendre qu’un esclave est libre alors qu’il obéit aux ordres de son maître puisque, dans les deux cas, les alternatives impliquent des souffrances terribles qui, en pratique, interdisent tout choix alternatif.

          Maîtres intérieurs

La similitude entre la situation d’un toxicomane et celle d’un esclave est telle que l’on peut affirmer qu’un toxicomane est un esclave. Le toxicomane n’est pas soumis à une autre personne mais sa volonté n’est pas moins soumise à une force qu’il ne contrôle pas. Une dépendance psychique n’est pas un maître moins réel qu’un bourreau armé d’un fouet : l’un comme l’autre oblige son esclave à agir d’une certaine façon sous la menace de la souffrance. Ainsi, les dépendances psychiques constituent bel et bien des maîtres intérieurs.

Il est commun que ceux qui souffrent d’une dépendance psychique nient leur dépendance. En d’autres termes, lorsque le maître est à l’intérieur de l’esclave, il est commun que l’esclave se donne l’illusion d’être libre puisque son maître est invisible. S'il est humiliant d’être un esclave, il est d’autant plus humiliant d’être l’esclave de ses propres dépendances psychiques. Là où les maîtres intérieurs imposent un esclavage non moins réel que celui des maîtres extérieurs, leur esclavage est mieux camouflé.

On entend souvent des hommes affirmer qu’ils refusent de s'engager dans une relation amoureuse puisqu’ils ne veulent pas perdre leur liberté. Selon leur discours, le célibat serait la liberté alors que l'engagement serait l’esclavage. À première vue, cette affirmation n’est pas erronée. Il est vrai qu’un homme célibataire peut choisir n’importe quelle femme alors qu’un homme engagé s’est obligé à choisir sa conjointe.

Pourtant, la liberté d’un tel célibat est illusoire. Un homme qui s’interdit l'engagement est un homme dont la liberté est limitée dans le temps. Il est capable de choisir une femme pour un court moment mais il est incapable de choisir une femme à long terme. Il est capable de faire les choix les moins importants mais pas les choix les plus importants.

N’importe quel homme est capable de choisir une femme pour un court moment. Seul un homme doté d'une grande liberté est capable de choisir une femme à long terme. L’homme incapable de choisir une femme à long terme n’est pas libre de rester célibataire, il est obligé de rester célibataire. Cet homme est esclave du célibat. Ou plus précisément, il est esclave d’une dépendance psychique l’obligeant à changer de partenaire au bout d’une certaine période de temps.

Bien sûr, on ne parle pas ici d’un homme qui hésite à s'engager par prudence. La capacité à faire les choix les plus importants n’équivaut pas à une impatience à ces choix. Un homme qui refuse de s’engager dans une relation amoureuse puisqu’il a de bonnes raisons pour craindre que cette relation serait malheureuse n’est pas esclave du célibat, il est sage. Les esclaves sont ceux qui n'ont pas d'alternative lorsque vient le moment de faire les plus grands choix.

          Drogue sexuelle

Pour la plupart des gens, il est évident que la toxicomanie est une forme d’esclavage intérieur. Par contraste, l’idée que la sexualité puisse être une forme d’esclavage intérieur est contre-intuitive. Cela est dû au fait que la dépendance au sexe, contrairement à la dépendance à la drogue, est approuvée par la culture occidentale contemporaine.

Pour ceux qui en doutent, deux approches suffisent pour s’en convaincre. Tout d’abord, il faut considérer la propension qu’ont les esclaves à s’illusionner au sujet de leurs maîtres intérieurs. Il faut prendre conscience d’à quel point il est évident qu’un toxicomane n’est pas libre en consommant de la drogue et d’à quel point ce même toxicomane s’illusionne en se croyant libre. La drogue et le sexe sont des maîtres similaires puisqu’ils utilisent la même stratégie afin d’imposer un seul choix à leurs esclaves. Ils n’interdisent pas les autres choix de façon directe : ils offrent un choix irrésistible en présentant les alternatives comme des privations misérables.

L’irrésistibilité du sexe dans la société contemporaine est évidente lorsque l’on entend qu’il s’agit d’un besoin. Il y aurait ainsi des besoins sexuels comme il y a des besoins alimentaires et des besoins affectifs. Pourtant, certaines personnes vivent une abstinence sexuelle complète durant plusieurs années sans que leur santé physique ou psychique ne soit affectée. Par contraste, toute personne privée de nourriture ou d’affection souffrira de troubles physiques et psychiques.

Certaines personnes souffrent de troubles physiques et psychiques s’ils sont abstinents de sexe, mais cela est aussi la situation des toxicomanes. Lorsque seulement certaines personnes, plutôt que tous les êtres humains, souffrent en s'abstenant d’un plaisir, c’est le signe qu'il s'agit du sevrage d'une drogue plutôt que d'un manque naturel.

L’autre approche exposant l'esclavage sexuel est l’expérience. Parmi ceux qui ont la possibilité d’avoir des relations sexuelles, combien sont abstinents? Parmi ceux qui eurent une vie sexuelle active durant plusieurs années, combien sont capables de choisir l’abstinence sexuelle? Les témoignages sont unanimes : l’abstinence sexuelle cause un sevrage au même titre qu’une drogue. Même ceux qui prennent de fermes résolutions d’abstinence flanchent à répétition. Cependant, après une période plus ou moins longue, le sevrage se termine. Contrairement aux privations de nourriture et d’affection, les troubles causés par l’abstinence sexuelle diminuent à long terme plutôt que d’augmenter.

Comme pour un alcoolique qui surmonte son alcoolisme, le sexe peut redevenir un désir que l’on vit librement, c’est-à-dire sans dépendance. Pour le sexe comme pour l’alcool, l’abstinence contrôlée est la cause autant que la preuve de la liberté. Le sexe et l’alcool peuvent procurer des joies saines mais ils peuvent aussi causer des dépendances aux conséquences néfastes.

          Vrai amour

Chez les chrétiens, l'amour et la liberté sont indissociables. Malheureusement, ce lien est obscurci dans la pensée populaire de l'Occident moderne. En effet, pour plusieurs, l’amour est limité à des sentiments. On aime une personne tant que les sentiments durent et on cesse de l’aimer lorsque les sentiments disparaissent. Il s’agit là d’une vision de l’amour qui, aux yeux des chrétiens, est triste et incomplète.

La vision chrétienne de l’amour dépasse les sentiments en s’inscrivant dans la volonté. L’amour naît souvent grâce à des sentiments et il suscite souvent des sentiments mais il ne dépend pas de ces sentiments puisqu’il est une volonté qui se maintient même alors que les sentiments varient. Les sentiments d’amour créent la joie dans le couple mais c'est l’amour qui préserve l’union du couple, même lorsque les sentiments sont absents. Le vrai amour n’est pas égoïste; il ne vise pas le bien-être de la personne qui aime. Le vrai amour est généreux; il vise le bien-être de la personne aimée. Le vrai amour est la volonté de procurer du bonheur à la personne aimée, parfois grâce aux sentiments et parfois malgré l’absence de sentiments.

C’est donc seulement si l’amour est une volonté que le mariage est sensé puisqu’un mariage est une promesse d’amour et que l’on ne peut pas promettre de maintenir un sentiment : on peut seulement promettre de maintenir une volonté. C’est ici que l’on comprend comment l’amour et la liberté sont indissociables. L’amour étant un acte de volonté et la volonté étant un exercice de la liberté, l’amour dépend entièrement de la liberté. Sans liberté, aucun amour n’est possible.

Cette impossibilité est évidente si l’on considère le scénario où un maître ordonnerait à son esclave de l’aimer. L’esclave pourra donner des signes d’amour à son maître mais ces signes seront faux puisqu’il est impossible d’aimer par obligation. On ne peut pas obliger une personne à vouloir quelque chose; on ne peut pas forcer la volonté d’une personne. Puisque l’amour est une volonté, on ne peut pas forcer l’amour.

Si deux personnes ne se sont pas choisies de façon libre, elles ne s’aiment pas. On peut ressentir de l’attirance et de l’attachement pour une personne sans aimer cette personne. Les sentiments détachés de la volonté peuvent ressembler à de l’amour mais, en réalité, ils n'en sont qu'un triste simulacre.

Les chrétiens encouragent l’amour le plus libre afin de permettre l’amour le plus vrai. L’amour ne pouvant pas être plus grand que la liberté, la liberté la plus grande est nécessaire afin de permettre l’amour le plus grand. Il importe d’insister sur ce parallèle puisque, lorsqu’il est question d’amour, les enseignements chrétiens ne prônent pas la modération : ils prônent la radicalité. Les chrétiens sont des radicaux de l’amour. Un chrétien ne s’estime jamais suffisamment libre puisqu’il n’estime jamais aimer suffisamment.

Les chrétiens comprennent donc l’amour comme la capacité de faire les choix amoureux les plus importants. Puisqu’ils veulent aimer de façon radicale, ils veulent faire des choix amoureux radicaux. S’il existe un choix qui permet d’aimer plus en étant plus libre, les chrétiens prôneront toujours ce choix. Ces choix sont parfois pénibles, ils peuvent impliquer des privations plus ou moins grandes mais, s’ils permettent d’être plus libre, les chrétiens les désireront toujours afin que leur amour soit plus grand.

          Intimité sexuelle

Le lien entre l’amour et la liberté étant éclairé, il importe de faire de même pour le lien entre l’amour et l’intimité sexuelle. L’intimité sexuelle, comme plusieurs autres gestes du corps, constitue un langage. Le langage corporel n’est pas moins réel que le langage verbal. En effet, une personne qui ment en hochant la tête verticalement ne ment pas moins réellement qu’une personne qui ment en exprimant la parole « oui » alors que la vérité est « non ». Un menteur corporel qui s’excuserait en affirmant qu’il n’a exprimé aucune parole ne convaincrait personne qu’il a agi avec honnêteté.

Ainsi, différents gestes du corps peuvent signifier différentes choses. Des hochements de la tête signifient une acceptation ou un refus; seul un menteur ou un hypocrite hoche la tête alors qu’il n’accepte ou ne refuse pas. Une poignée de main signifie la paix; seul un menteur ou un hypocrite serre la main de ses ennemis. Une accolade ou un baiser signifie l’amitié; seul un menteur ou un hypocrite donne une accolade ou un baiser à une personne qu’il n’apprécie pas. Un mensonge corporel est un mensonge aussi malhonnête qu’un mensonge verbal.

La signification des gestes corporels peut varier d’une culture à l’autre. Pour certaines cultures étrangères, l’acceptation, le refus et la paix peuvent être signifiés par des gestes corporels tout à fait différents des hochements de tête et des poignées de main des Occidentaux. Pour ce qui est des accolades et des baisers, ils peuvent signifier différents degrés d’amitié selon les cultures mais il s’agit de signes d’amitié relativement universels. On constate que, plus un geste touche à l’intimité, moins il est remplaçable par d’autres gestes puisque l’intimité touche le cœur humain de façon unique. La sexualité étant la plus grande intimité corporelle, elle est la moins remplaçable. Ainsi, la plupart des cultures traditionnelles reconnaissent le caractère sacré de la sexualité.

L’intimité sexuelle signifie l’union la plus totale entre deux personnes. Tout acte intime est un acte d’union; l’acte sexuel est l’acte d’union le plus total. Il crée un puissant attachement affectif entre les amants, surtout pour ceux qui n'ont pas multiplié les partenaires sexuels. L’extase de la jouissance élève les amants au paroxysme de l'union alors qu’ils s’élancent l’un dans l’autre avec passion. Il s’agit à la fois de l’acte procurant la plus grande jouissance unitive et de l’acte donnant les plus grands fruits unitifs puisqu’il peut engendrer un nouvel être humain à l’image des amants. Ces caractéristiques font en sorte que, là où une accolade peut signifier « Je suis ton ami », l’intimité sexuelle signifie « Je suis uni à toi par tout mon être, je me lie à toi et je te serai fidèle pour toujours ». 

On peut bien sûr déconnecter l’intimité sexuelle de cette signification mais cela résulte en des conséquences néfastes. La signification de l’intimité sexuelle n’est pas remplaçable puisqu’aucun autre geste ne possède les caractéristiques d'une union la plus totale. Aucun autre geste ne procure une jouissance unitive et ne donne des fruits unitifs comme l’intimité sexuelle. Ainsi, les individus et les cultures qui banalisent l’intimité sexuelle et qui la déconnectent de l’union amoureuse la plus totale se retrouvent sans geste corporel pour signifier une telle union.

Il s’agit d’un état aussi tragique que si le langage n’avait plus de mot pour signifier « amour ». Ou encore, on peut imaginer une société où tout le monde vit l’intimité sexuelle avec tout le monde, offre des accolades et des baisers à tout le monde et dit « je t’aime » à tout le monde, tout cela sans égard pour l’amour réel des uns pour les autres. L’amour peut exister dans une telle société mais sa réalité est brouillée dans les esprits puisqu’aucun signe ne le révèle sans équivoque.

          Défense de l’amour

Les chrétiens ne dénoncent pas seulement les préceptes qui nient le lien entre l’intimité sexuelle et l’amour, ils dénoncent aussi les préceptes qui nient le lien entre l’intimité sexuelle et l’union amoureuse la plus totale. Même si l’intimité sexuelle est liée à engagement amoureux, elle constitue un mensonge corporel si cet engagement amoureux est limité. L’intimité sexuelle signifie un don de soi entier et irrévocable; aucun geste ne signifie une union plus totale. Par contraste, un amour partiel ou révocable est une union limitée par un don de soi incomplet. Si l’union totale et l’union limitée sont signifiées par le même geste – l'intimité sexuelle – leur différence est brouillée. L’idéal chrétien, étant un idéal d’amour radical, vise à ce que l’union amoureuse la plus totale soit révélée sans équivoque.

L’importance d’une telle révélation sans équivoque ne doit pas être sous-estimée. Dans une société où aucun signe ne révèle l’amour sans équivoque, on doutera que l’amour existe, surtout parmi les jeunes. Une génération qui doute de l’existence de l’amour dès sa jeunesse ne peut que peiner à vivre l’amour, ce qui brouillera encore davantage la réalité de l’amour dans l’esprit de la génération suivante. Ainsi, en déconnectant les gestes corporels de l’amour qu’ils signifient, on fait disparaître les signes d’amour et on nuit à l’existence même de l’amour.

Ce phénomène, qui est vrai de l’amour en général, est également vrai de l’union amoureuse la plus totale que les chrétiens veulent préserver. Une société qui déconnecte l’intimité sexuelle de l’union amoureuse la plus totale brouille la possibilité même d’une telle union qui devient ensuite de plus en plus difficile à vivre. Cette difficulté est tragique au plus haut point puisqu’une telle union est ce que les amoureux désirent par-dessus tout même alors qu’ils peinent à y croire et qu’ils s'handicapent à la vivre en brouillant le signe qui la révèle.

C’est donc en combinant le lien entre amour et liberté et le lien entre amour et intimité sexuelle que l’on peut comprendre les préceptes chrétiens par rapport à la liberté sexuelle. Quand on choisit d’aimer, on aime totalement et, quand on choisit d’aimer totalement, on aime pour toujours. L’abstinence sexuelle hors mariage et l’indissolubilité du mariage sont donc les idéaux d’une liberté totale qui veut aimer totalement. Le mariage étant une promesse d’amour fidèle jusqu’à la mort, il est l’institution de l’union amoureuse la plus totale. Si des amoureux sont incapables de refuser l’intimité sexuelle avant d’être totalement unis, la signification de leur union sexuelle est brouillée.

Les chrétiens aspirent à ne jamais être obligés de donner de faux signes d’amour. Ils dénoncent donc la liberté sexuelle telle qu’elle s’est déployée en Occident puisque, en réalité, il s’agit d’un esclavage sexuel. Les idéologies dominantes rationalisent l'esclavage sexuel que l'on devrait éviter. La liberté n’y triomphe pas, au contraire, la volonté y est soumise aux maîtres intérieurs. Là où l’intimité sexuelle est vouée à signifier l’union amoureuse la plus totale, elle est réduite, au pire, à constituer une drogue que l’on est obligé de consommer ou, au mieux, à signifier un engagement amoureux plus ou moins partiel et révocable.

La vie est heureuse si elle est remplie d’amour; l’amour est vrai s’il est libre. La vie la plus heureuse nécessite donc la liberté la plus totale. Le malheur n’est pas un échec dû à une incompétence; il est une insuffisance due à des désirs mal comblés. Quand on dit que l’on est assez libre, que l’amour que l’on vit est assez vrai et donc que l’on est assez heureux, on devient la cause du malheur que l’on vit. Le plus grand bonheur est le fruit des plus grands désirs comblés par la plus grande liberté. On ne peut pas contrôler tous les événements de la vie mais on peut toujours se libérer des maîtres intérieurs qui interdisent le plus grand bonheur. C’est l’une des gloires de la vie chrétienne.